Discours de Sigrid Kaag, lors de la réunion des ambassadeurs francophones du 18 mai 2020

Discours de Sigrid Kaag, ministre du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, lors de la réunion des ambassadeurs francophones du 18 mai 2020

Monsieur Balayan, Mesdames et messieurs les ambassadeurs,


Je vous remercie de m’offrir la possibilité d’échanger avec vous cet après-midi au sujet de la crise du coronavirus. Mes remerciements s’adressent en particulier à monsieur Balayan pour l’organisation de cette réunion en ligne.
La crise révèle à quel point nous sommes dépendants les uns des autres. À quel point nous sommes liés, et vulnérables. Elle requiert en conséquence une approche internationale. Une approche qui soutienne autant que possible les pays fragiles.
La solidarité internationale est plus nécessaire que jamais, ce, pour deux raisons.

Principes de la politique néerlandaise

La première est d’ordre moral : nous avons la responsabilité d’aider dans la mesure du possible les populations vulnérables à échapper au véritable désastre humanitaire qui les menace.
La seconde est d’ordre rationnel : ce choix est dans notre propre intérêt commun. Ces termes semblent contradictoires mais ne le sont pas dans la réalité.
La crise du coronavirus aggrave la pauvreté, l’instabilité et l’insécurité dans les zones vulnérables du monde. Nous en connaissons tous les conséquences, notamment le terrorisme et les migrations clandestines.
Au niveau international, nos économies sont tellement imbriquées que la récession mondiale provoquée par la pandémie a d’énormes répercussions – pour tous.
Le FMI appelle cette crise le Grand confinement : la pire récession économique depuis la Grande dépression des années trente. Il prévoit une contraction de l’activité économique mondiale de l’ordre de 3 à 8 %.
Que vaut l’épreuve de force lancée contre le virus par les pays à l’intérieur de leurs frontières si elle ne s’accompagne pas d’une approche internationale ?
Il est crucial de mener une action énergique, multilatérale et coordonnée, ce pour deux raisons :
1.    pour réduire le risque d’une seconde vague de contaminations ;
2.    pour sortir de la récession. L’économie mondiale ne pourra réellement se redresser qu’une fois que tous les pays auront levé leur confinement.
Dans un avis publié en urgence la semaine dernière, à la demande de la Chambre des représentants, le Conseil consultatif pour les questions internationales (AIV) insiste sur l’importance d’une approche coordonnée.

Rôle moteur de l’UE

L’AIV souligne aussi que l’UE doit jouer un rôle moteur, précisément en cette période tendue au niveau géopolitique.
Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a exprimé son inquiétude quant au manque de leadership dans la lutte contre la pandémie.
La capacité de l’UE à conforter son rôle géopolitique sera l’ultime révélateur du leadership européen au 21e siècle.
C’est pourquoi je salue l’initiative prise début mai par la Commission européenne d’organiser une grande conférence des donateurs qui a permis de réunir 7,4 milliards d’euros pour l’élaboration d’un vaccin accessible et abordable.
De mon point de vue, ce leadership s’applique aussi au rôle de l’UE dans les pays les plus fragiles, notamment en Afrique. J’ai donc pris contact dès début avril avec mes collègues des États membres, dont la France, afin de coordonner autant que possible notre soutien aux États africains par l’intermédiaire des canaux multilatéraux.

Biens essentiels et commerce international

Déjà peu disponibles dans les pays en développement, les équipements de protection et le matériel médical s’y font de plus en plus rares, surtout depuis que la pénurie est mondiale. Dans un contexte de concurrence internationale, les pays en développement et les organisations humanitaires sont souvent les plus déshérités.
C’est pourquoi les Pays-Bas ont soumis des propositions au Conseil européen du commerce afin de réguler la disponibilité des biens de santé essentiels et difficiles à se procurer.
Il ne s’agit pas seulement d’augmenter les capacités de production de ces biens en Europe, mais aussi d’en garantir l’accès et la répartition équitable au niveau international.
Le système du commerce mondial était déjà mis à mal par les bouleversements géopolitiques et la montée du protectionnisme. Le COVID-19 révèle de nouvelles failles, en particulier dans l’aménagement et la résilience des chaînes de valeur mondiales.
La solution ne se trouve pas dans la démondialisation mais dans l’amélioration du système actuel.
C’est à mon avis ce qu’avançait l’ancien directeur général de l’OMC Pascal Lamy dans une interview récemment accordée au Monde, en évoquant le développement de ce qu’il appelle le précautionnisme .
Je n’y vois pas une nouvelle forme de protectionnisme mais une prise de conscience de la nécessité d’amender notre système. Il faut parvenir à des règles et des accords plus performants, visant à
1.     protéger les citoyens des effets néfastes du libre-échange ;
2.    garantir l’accès aux biens essentiels à l’économie, à la santé publique et à la sécurité ;

3.    contribuer à la réalisation des objectifs internationaux en matière de développement durable et de climat.
Dans ce contexte, la France et les Pays-Bas ont pris l’initiative d’appliquer le principe de durabilité de façon plus contraignante qu’avant au commerce international, conformément au Pacte vert européen.

Santé et pauvreté au niveau mondial

Le développement futur de la pandémie dépendra en grande partie de la réaction des pays dotés d’un système de santé vulnérable, mais aussi de notre capacité à coopérer et à échanger des informations. Le système de santé mondial a la force de son maillon le plus faible.
Le contexte de la lutte contre la maladie rend la crise prodigieusement complexe en Afrique et dans certaines parties du Moyen-Orient, en particulier dans les zones les plus fragiles et instables. Je pense notamment au Sahel, où la France et les Pays-Bas unissent leurs efforts au sein d’une force internationale.
Le confinement, la fermeture des frontières, la paralysie du commerce et la fuite des capitaux ont des conséquences extrêmement déstabilisantes dans les pays en développement : perte directe de revenus et pénurie alimentaire.
Pour la première fois depuis trente ans, la pauvreté mondiale risque de repartir à la hausse.
Les retombées du COVID-19, conjuguées à la faiblesse des récoltes due au changement climatique et aux invasions de criquets, font le terreau d’une crise aiguë de l’approvisionnement alimentaire.
Le Programme alimentaire mondial des Nations unies annonce une famine de proportions bibliques. Dans le pire des scénarios, 300 000 personnes pourraient mourir de faim chaque jour sur une période de trois mois .
En outre, comment lutter contre la propagation du coronavirus dans une zone de conflit ou un camp de réfugiés ? Le respect de la distanciation physique y est impossible.
En Afrique, les foyers de COVID-19 et les mesures restrictives ont un impact énorme sur les soins de santé primaires.
Il est donc crucial de continuer à consolider les systèmes de soins primaires dans les zones vulnérables, comme le font les Pays-Bas par le biais des programmes par pays. Non seulement pour faire face à la propagation du coronavirus mais aussi pour continuer à assurer les soins de santé réguliers.

Efforts des Pays-Bas

J’ai libéré début avril un budget de 100 millions d’euros en faveur de la prévention, de l’aide humanitaire d’urgence et de l’atténuation des dommages socioéconomiques dans les pays en développement.
Je tiens à souligner en particulier nos efforts en matière de santé mentale et de soutien psychosocial. Nous encourageons toutes les parties prenantes à faire du soutien psychosocial une partie intégrante de l’aide d’urgence, surtout en cette période.
La semaine dernière, les Nations unies ont mis en garde contre l’impact de la pandémie sur la santé mentale. Le climat actuel d’anxiété, d’incertitude et d’instabilité socioéconomique entraîne inévitablement une grande détresse psychique.
Il est de notre devoir moral de contribuer maintenant et de façon adéquate à la lutte contre le coronavirus dans les pays les plus fragiles. C’est en outre un investissement direct dans la maîtrise de la propagation du virus et dans la prévention de l’instabilité et de la pauvreté.
Je vous remercie de votre attention.
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